Dagoberto Linhares
Guitariste
Au Conservatoire

Comment ne pas être émerveillé par l'immense talent du jeune guitariste brésilien Dagoberto Linhares ? Car rares sont les musiciens -qui atteignent, avant trente ans, une si noble maîtrise de leur
instrument ; une maîtrise qui sublime un art merveilleusement abouti d'une technique toujours parfaite et éminement sensible, d'une aisance qui, à chaque instant, recrée poésie et rêve. A tel point que Dagoberto Linhares fait oublier virtuosité et doigté, bien facture et difficulté instrumentale.

Mardi passé, en clôture de la saison automnale des Concerts-Interrmèdes, ce fut en toute évidence le meilleur concert de la série ; et le public lui-même - qui, ne l'oublions pas, n'était pas "le" public habituel des amoureux de la guitare ! - ne s'y est pas trompé : comment d'ailleurs ne pas tomber sous le charme de ce musicien (au plein sens du terme) qui transcende, en esthète minutieux, chaque pièce d'un répertoire aussi bien classique que contemporain : car, pour Dagoberto Linhares, il ne s'agit pas simplement de bien jouer (à quoi malheureusement bien des guitaristes s'emploient et se limitent... ), mais de communiquer et de raconter couleurs et impressions. Ainsi, chaque œuvre est recréée jusqu'au bout des ongles pourrait-on dire, chaque moment devient évasion irrésistible, cisèlement parfait, car, profondément, Dagoberto Linhares est sensible, de cette sensibilité immense et discrète qui lui fait découvrir la moindre inflexion du texte, la plus petite tension harmonique, la plus innocente des hésitations : et ces oeuvres, souvent approchées d'une manière bien anodine, se parent soudain de l'aura qui distingue les oeuvres de génie.

Sans détailler toutes les pièces de ce programme particulièrement équilibré, il faut relever l'intérêt de "I'Eloge de la Danse" de Léo Brouwer, ce compositeur cubain trop peu connu, dont l'écriture, aux mains de Dagoberto Linhares, prend soudain visage d'évidence, en une vision extatique et pulsionnelle, brillante sans caquant créant ruptures et tensions.

Et ces "Variations sur Malbrough s'en va-t-en guerre" de Femando Sor que le maître Segovia nous a habitué à comprendre simples et classiques : Dagoberto Linhares en relève les plus infimes beautés avec le raffinement qui sied à un compositeur aux limites du classicisme et du romantisme, avec cette perfection immense qui ne doit pas oublier l'humour.

Quant aux œuvres plus hispaniques, celles de Granados, d'Albeniz, de Torroba ou de Villa-Lobos, elles deviennent sous les doigts j'allais écrire sous le doigté du guitariste des petits chefs-d'œuvre, irrésistibles de chatoiement coloré et de charme profond. "Le Courrier" (Genève) Bernard Sonnaillon

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